JOE STRUMMER... THE FUTURE IS UNWRITTEN
UN FILM DE JULIEN TEMPLE
Joe Strummer the future 2
 
INTERVIEW DE JULIEN TEMPLE, REALISATEUR DU DOCUMENTAIRE JOE STRUMMER … THE FUTURE IS UNWRITTEN par Philippe Roizes
 
Pourquoi un film sur Joe Strummer plutôt q’un film sur The Clash ou un autre membre du groupe ?
Julien Temple : Tout d’abord, mon vrai ami au sein du groupe était Joe. Je le connaissais depuis longtemps et c’est de lui dont je me sentais le plus proche. Lorsqu’il est mort, soudainement et jeune, j’ai ressenti comme un grand vide. Et j’ai commencé à me demander comment j’aurais pu lui rendre hommage et surtout témoigner de l’homme qu’il était, au-delà des apparences. S’il n’était pas mort, je n’aurais pas ressenti le besoin, la nécessité même, de faire ce film, parce que notre amitié aurait perduré et qu’il aurait continuer à avancer et à vivre selon son éthique. Un des propos du film, c’est de ramener tous les gens qui ont été proche de lui et de replacer les pièces d’un grand puzzle en donnant la parole à tous. Je n’avais pas du tout envie de faire un film sur The Clash. Il y a déjà eu plusieurs très bons documentaires sur le groupe. Et puis, en tant que groupe, j’ai plus focalisé sur Sex Pistols. Je me suis dit qu’au-delà de la partie médiatiquement visible, on connaissait certainement mal d’où venait Joe Strummer, ses années de jeune adulte avant The Clash, la formation, l’énergie brutale et la fin du groupe, mais aussi sa longue et traversée personnelle du désert, et finalement ce qu’il était réellement au fond de lui.
 
Dans quel ordre avez-vous travaillé sur ce film ? Les idées formelles du feu de camp et de l’émission de radio sont-elles venues avant ou après la structure ?
J.T. : J’ai été beaucoup moins rigoureux, par choix, sur ce projet que je ne l’aurais été sur un autre sujet. Si je me mettais à visionner la masse d’archives dont je disposais pour y voir plus clair et décider d’une structure, je pense que je me serais perdu et que je n’aurais jamais su par quel bout commencer. Je n’avais pas envie non plus de réfléchir longuement à une écriture documentaire. Je voulais quelque chose de spontané pour rendre compte de l’humain et, encore une fois, d’une certaine énergie. J’ai donc décidé d’y aller à l’instinct, de monter en même temps que je dénichais des choses, de ne pas beaucoup réfléchir. En fait, je voulais rester fidèle à l’éthique de Joe et faire un film punk. Donc, je n’avais pas de plan. En école d’art, on apprend, même dans les genres les moins académiques, des manières de faire. Et quand des gens veulent faire différemment, on leur répond souvent que ça ne fait pas. C’est à ce genre de choses qu’il faut résister. J’avais très peur de louper ce film, de faire quelque chose de trop sombre et désespéré, alors que Joe était un combattant. J’avais peur également de trahir sa mémoire. Finalement, suivre mon instinct m’a préservé de ces écueils. Il fallait que je trouve une forme fidèle à ce que Joe était, comme ce devrait être le cas pour tout portrait. Je n’étais en train de faire un film sur Miles Davis, mais Joe Strummer. L’idée du feu de camp est de Joe en quelque sorte. Il affectionnait particulièrement les feux de camp nocturnes à plusieurs, autour desquels il aimait que la libre parole circule, qu’on boive un verre, rit, chante et joue de la guitare. Le feu de camp permettait selon Joe de rapprocher les êtres et de faire circuler les idées. Et puis, il y avait effectivement cette émission nocturne de musique qu’animait Joe pour la BBC. Elle permettait quelques respirations et en plus d’en connaître plus sur les goûts très éclectiques de Joe.
 
Comment avez-vous rencontré Joe Strummer ?
J.T. : C’était dans les années 70. Le mouvement des squats était alors très répandu et actif. Dans les quartiers populaires, on ouvrait les maisons vides et on s’entraidait. C’était devenu comme une grande communauté, dans laquelle se retrouvaient des gens qui squattaient par nécessité et d’autres qui le faisaient pour des raisons politiques. En fait, j’habitais le squat voisin du sien, et on s’est croisé le matin, par hasard, chacun sortant sur son perron pour prendre son litre de lait (en Angleterre, le lait est livré chaque matin sur le pas de la porte – NDLA). Mais nous ne nous sommes pas particulièrement parlés. C’est quelques années plus tard que j’ai découvert le même bonhomme se démener sur une scène, au chant et à la guitare.
 
Combien de temps ce film vous a pris ?
J.T. : J’ai commencé à y penser un peu après la mort de Joe. Ensuite, j’ai commencé à trier les archives et à faire des interviews. Je me suis arrêté un moment, et puis je suis revenu dessus. Tout cela mis bout à bout a dû représenter un peu plus d’une année.
 
Un des points fort du film, c’est de ne pas montrer Joe Strummer comme un type parfait. Le portrait n’est pas complaisant. Vous n’aviez pas peur, au début, soit de nier les parties sombres, soit au contraire de trop esquinter l’image de votre ami ?
J.T. : Il y avait bien sûr une peur légitime. Faire parler des gens qui ont survécu à quelqu’un, c’est un peu comme aller ouvrir la tombe de quelqu’un et découvrir un zombie. Mais je voulais montrer différents aspects de sa personnalité, sans censure, mais avec respect.
 
Vous avez utilisé des extraits de vieux films que vous avez utilisé dans votre montage afin de servir un propos, une idée de la vie de Joe Strummer. C’est un procédé que vous aviez également utilisé dans L’obscénité et la fureur, le film consacré aux Sex Pistols. Est-ce que cela fait partie de votre style personnel ?
J.T. : Oui, en quelque sorte. J’avais réalisé un petit film intitulé Sex Pistols Number One pour le groupe, à l’époque où il était interdit de concert un peu partout. Et il n’y avait tellement pas beaucoup d’argent qu’il fallait trouver des palliatifs, des astuces. Alors, je me suis mis à voler des extraits de différents programmes qui passaient à la télé. Ils me permettaient de donner du sens, d’illustrer mon propos, de renforcer une idée. Au lieu de mettre en scène moi-même quelque chose que je n’aurais pas eu les moyens de faire, j’allais chercher quelque chose qui donne la même information dans du matériau préexistant. C’était une manière très punk de faire (- préalablement utilisée par les dadaïstes, les lettristes et les situationnistes – NDLA). Je pense que ma manie de piocher dans des archives, qui semblent de prime abord, ne pas avoir un lien direct avec le sujet, me vient de ces années-là. J’aime beaucoup cette manière de travailler, pas tout à fait conventionnelle.
 
Dans le film, il y a de nombreuses extraits musicaux, de Clash, des groupes précédents de Joe Strummer, et également de tas de titres très différents les uns des autres, qu’il programmait lors de son émission de radio. Pourquoi n’avoir utilisé que des cours extraits de morceaux ?
J.T.  : C’est un choix délibéré. D’abord, ce film n’est pas un film musical. Ce n’est pas son propos. Il raconte avant tout l’histoire de Joe Strummer qui se trouve avoir été musicien. Il y a des quantités de films qui font la part belle à la musique, mais ce n’était pas mon intention. On entend des petits extraits de musique. Si les gens ont apprécié, c’est à eux d’aller chercher l’information pour en entendre plus. De toute façon, la musique n’est pas faite pour être écoutée au cinéma. La musique, ça s’écoute en concert ou chez soi, dans un casque. Et puis, je disposais de tellement d’informations que, si j’avais mis des extraits musicaux plus longs, j’aurais fait un film de quatre heures. Enfin, il est vrai que chaque minute utilisée pour de la musique représentait un peu moins d’argent pour d’autres choses nécessaires pour le film. Et je ne pense pas qu’on fasse un bon film en mettant de la musique partout.
 
Dans le film, on comprend que Joe Strummer, à l’émergence du punk rock, à véritablement fermé la porte à nombreux de ses amis qui baignaient plutôt dans les restes du mouvement hippie. Cette manière de se couper de son passé a-t-elle été une pratique singulière de Joe Strummer ou était-ce courant dans ce contexte ?
J.T. : Je pense qu’on peut utiliser le mot « claqué la porte plutôt que « fermé ». Parce que l’attitude de Joe a été très violente vis-vis de ces gens qui furent très proches de lui, et dont il avait partagé les goûts, les idées, le mode de vie. Le punk fut un électrochoc qui remit en cause de nombreuses manières de faire et de se conduire dans différents domaines. C’était un peu comme être une génération spontanée, sortie de nulle part, qui n’aurait eu ni passé ni futur, et qui était obsédée par l’idée de vivre les choses pleinement et au présent. Je pense que de nombreuses personnes se sont comportées comme Joe et se sont mis à fréquenter les gens qui expérimentaient eux aussi l’électrochoc punk, qui vivaient la même expérience. Mais Joe a peut-être poussé la chose encore plus loin, de manière plus violente, sans doute parce qu’il vivait mal ses propres contradictions. Au sein du mouvement hippie et du mouvement des squatteurs, il avait trouvé sa place et était en accord avec lui-même. Mais le punk lui dictait ou lui faisait penser qu’il n’était pas compatible avec ces expériences passées, et qu’il fallait donc détruire les traces de ce passé. Chez Joe, cela s’explique aussi du fait qu’il venait d’un milieu privilégié. Il n’était pas un gamin des quartiers populaires qui avait grandi dans la rue. Il s’était senti proche de la rue, des gens de la rue et du peuple, en tant qu’entité. Mais John Lydon (le vrai nom du chanteur de Sex Pistols – NDLA) lui avait sévèrement reproché de venir d’un milieu aisé, et Joe en avait beaucoup souffert. Alors Joe préférait effacer les traces du passé, faire comme s’il ne venait de nulle part et endosser le rôle qu’il s’était donné, utiliser le punk rock pour raconter la réalité des bas quartiers et semer les germes de la révolte sociale.

Est-ce le regret d’avoir été dur avec ses anciens amis ou, de manière plus générale, la maturité concernant un mouvement hippie moins désastreux qu’il ne l’avait clamé, qui fait que Joe Strummer, quelques années après la séparation de The Clash, proclame la similitude des mouvements hippie et punk ?
J.T. : Je crois que c’est un peu des deux. Pendant les années d’activité de Clash, c’est un peu comme si Joe avait été en guerre. La séparation du groupe, pour lui, c’est à la fois une douleur, une traversée du désert, mais aussi un soulagement. Il allait enfin prendre du temps pour lui, pour être avec sa femme, regarder ses enfants grandir, regarder le monde, s’écouter lui-même. Ça l’a rendu forcément moins dur, plus ouvert. Lorsqu’il s’est intéressé au mouvement underground techno, aux rassemblements en plein air, il a retrouvé un goût du partage et de la communion, qui étaient chers au mouvement hippie. C’était bien sûr une manière également de rouvrir la porte à quelques vieilles amitiés. Si The Clash a été une guerre, je pense que, comme tous les survivants, Joe avait envie de s’offrir un répit, une retraite, active mais plus douce. La vie au sein de Clash n’était pas forcément rose tous les jours.
 
Finalement, Joe Strummer, après une période intense de sorties d’albums et de tournées incessantes, a souffert de la fin du groupe, mais a paradoxalement trouvé plus de temps pour se trouver personnellement ?
J.T. : Oui, bien sûr. The Clash prenait beaucoup de temps et maintenait tout le monde sous pression. Avec la fin du groupe, Joe a, certes, perdu beaucoup. Mais, en même temps, il n’avait plus de rôle à jouer. Il se retrouvait, dans un relatif anonymat, et pouvait enfin être lui-même, vivre pour lui-même, apprendre de lui-même … s’accomplir en tant qu’être humain et non plus en tant que chanteur d’un groupe connu mondialement.
 
Dans le film, à un moment, Joe Strummer désigne, auprès d’un journaliste, Bernie Rhodes, le manager de Clash, comme l’inventeur du punk rock. Dans La grande escroquerie du rock’n’roll, que vous avez réalisé en 1979, Malcom McLaren, manager de Sex Pistols, dit, dans les premières minutes du film, « j’ai créé une chose appelée punk rock ». Etrange similitude.
J.T. : Joe voulait qu’on ne néglige pas Bernie qui, effectivement, avait beaucoup d’idées. L’idée de base de La grande escroquerie du rock’n’roll, c’est de faire un film qui irrite les fans absolus de Sex Pistols. On en était arrivé à un niveau où les gamins mettaient des posters du groupe dans leurs chambres et les vénéraient comme des dieux. Et ce n’était pas ça l’idée du punk. Alors, l’idée est venue de présenter le groupe comme des pantins manipulés, une machine à fric exploitant les pulsions adolescentes de la révolte. C’était une manière de dire aux adorateurs qu’ils s’étaient fait avoir et qu’ils n’avaient rien compris au punk. Dans cette optique, Malcom incarnait le grand manipulateur. Mais il est vrai que dans les deux cas, Bernie comme Malcom, se sont pris au jeu. Bernie était persuadé que le groupe n’était rien sans lui. Quant à Malcom, il a fini par réellement croire qu’il avait inventé le punk rock à lui tout seul.
 
Vous avez réalisé L’obscénité et la fureur vingt ans après La grande escroquerie du rock’n’roll. Au moment où vous réalisiez La grande escroquerie du rock’n’roll, aviez-vous conscience qu’il manquait quelque chose ?
J.T. : Je disposais d’archives avec John Lydon mais son absence de participation au film se faisait ressentir pleinement. La grande escroquerie du rock’n’roll est une mise en scène qui enfle sur toutes les rumeurs qui ont couru sur le groupe : ils ne savent pas jouer, ce sont des débiles et leur manager tire toutes les ficelles d’un coup entièrement sorti de son imagination. Comme je le disais, plus tard, Malcom Mclaren s’est convaincu de cette version des choses. C’est comme s’il avait créé Johnny Rotten à partir d’une boule d’argile et qu’il lui avait dicté ses mots et ses actes. C’est bien sûr totalement faux. John et moi avons ressenti, plusieurs années plus tard, la nécessité de montrer ce qu’était vraiment ce groupe, d’où venaient ses membres. Finalement, c’est peut-être mieux de regarder L’obscénité et la fureur avant La grande escroquerie du rock’n’roll.
 
Propos recueillis par Philippe Roizes
 
Liens : Le site du film avec une bio de Julien Temple & Joe Strummer par ici >
 
vivre pas survivre
Vivre pas survivre de Patrice Herr Sang, fondateur du fanzine New Wave, l'ouvrage de référence sur le punk.
 
 
Joe Strummer the future 1
 

 

 

 

 

 

 
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