KIYOSHI KUROSAWA, MÉMOIRE DE LA DISPARITION
par Diane Arnaud
éditions Rouge Profond (2007)
 
kairo
(Kairo)
 
Kiyoshi Kurosawa est l’un des plus essentiels cinéastes asiatiques contemporains. Il est devenu une référence majeure en France avec la sortie de Cure (1997), Charisma (1999) et Kaïro (2001). Cette trilogie, mêlant le fantastique et l’intime dans une vision violente et inquiétante de la société japonaise contemporaine, est le point de départ de la réflexion de Diane Arnaud. Son essai met en perspective toute la création du metteur en scène notamment ses premières réalisations qui partent des genres : le thriller (films de yakuza), l’horreur et l’érotique. Mais, avant tout, l’œuvre de Kurosawa tente de retracer et figurer la disparition des héros nippons, en traitant particulièrement de l’amnésie d’une jeunesse à la dérive et de la hantise de l’Histoire.
 
La mise en scène de la disparition représente l’un des gestes créateurs les plus intenses du cinéma actuel. Échos asiatiques à Kitano, à Wong Kar-wai, à Tsai Ming-liang. Et plus encore. Les références stylistiques au cinéma occidental, de Fleischer à Antonioni, de Resnais à Von Trier, et leurs croisements avec la tradition japonaise des revenants accentuent l’inquiétante étrangeté d’une œuvre sur la brèche : entre destruction et reconstruction, traumatisme et remaniement, action critique et désoeuvrement, peur et oubli…. Le travail de mémoire, qui s’impose au fil des changements fantomatiques de plans, trace une nouvelle tendance du cinéma vouée à l’échappée et au retour de la catastrophe.
 

 
Diane Arnaud est maître de conférences à Paris VII. Auteur d’une thèse sur les figures de l’enfermement, elle est l’une des spécialistes du cinéma contemporain japonais. Elle a publié Le Cinéma de Sokourov. Figures d’enfermement à L’Harmattan, coll. « Esthétiques », 2005.
 

 
Biographie Kiyoshi Kurosawa
 
Tardivement découvert en Occident, en 1997 avec Cure et en 1999 avec trois de ses films en compétition dans différents festivals (License to Live, Charisma, Barren Illusion), Kiyoshi Kurosawa (Kobe, 1955) représente une figure essentielle et singulière du cinéma japonais à l’image de Takeshi Kitano.
 
vaine illusion
(Vaine illusion)
 
Étudiant en sociologie à l’université de Rikkyo (Tokyo), il suit les cours de cinéma de Shigehiko Hasumi. Très tôt, sa cinéphilie s’affirme, l’orientant vers les films de genre américains des années cinquante et soixante-dix (Aldrich, Siegel, Peckinpah, Fleischer, Carpenter, Hooper…) et le cinéma d’auteur (Godard, Rohmer, Cassavetes, Wenders…). Il tourne des films en Super 8 dont l’un deux est sélectionné au début des années quatre-vingt par le PIA Film Festival ; il devient l’assistant de Kazuhiko Hasegawa, Shinji Somai, Bannei Takahashi. Il est engagé par la Nikkatsu pour tourner des pink eiga (fictions érotiques). Il réalise en 1985 The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl, un film de commande aux résonances godardiennes – ce qui ne plaît pas à la Nikkatsu qui qualifie Kurosawa de réalisateur incontrôlable. Cette réputation marginalise le cinéaste, dont les démêlés avec le système de production japonais rappellent ceux de l’illustre Seijun Suzuki. Privé de tournage pendant quatre ans, il enseigne le cinéma à l’université de Rikkyo non sans influencer de futurs metteurs en scène tels que Makoto Shinozaki, Shinji Aoyama, Masayuki Suo… Son retour en grâce, il le doit à Juzo Itami, cinéaste et acteur à succès (Tampopo, 1985), qui l’impose pour la réalisation de Sweet Home (1989), film de maison hantée annonciateur de la vague fantastique japonaise. Il tourne ensuite pour la télévision et le direct-to-video. C’est une période productive et une phase de transition pour Kurosawa qui expérimente, confronte forme et narration, impose son style qui prend toute sa signification dans Cure, Charisma (1999), Séance (2000), Kairo (2001), Jellyfish (2003), Doppelgänger (2003), Loft (2005). Films de l’invisible – la plupart d’entre eux sont sélectionnés au Festival de Cannes – qui mêlent le fantastique et l’intime dans une vision violente, inquiétante et métaphysique de la société japonaise contemporaine.
 
Doppelganger
(Doppelganger)
 

Kiyoshi Kurosawa. Mémoire de la disparition
Diane Arnaud
Rouge Profond, collection « Raccords », 2007
176 pages, 320 images noir & blanc et couleur
20 euros
:: Editions Rouge Profond::
 

 
HORS-CIRCUITS,
4 rue de Nemours, 75011 Paris
(M° Parmentier ou Oberkampf)
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mémoire de la disparition
 

 
seance
(Seance)
 
Extrait de Kiyoshi Kurosawa: mémoire de la disparition de Diane Arnaud
 
III. PLUS PERSONNE
Circuits de la disparition

 

Des enquêteurs qui partent à la dérive aux jeunes qui quittent le monde, le cinéma de Kiyoshi Kurosawa ne cesse de mettre en péril les données de l’identité. Kaïro s’impose comme le film de référence puisque l’invasion de fantômes conduirait à l’anéantissement des hommes… en commençant par les Tokyoïtes d’une vingtaine d’années. Les jeunes aux comportements de zombies finissent atomisés. Cette histoire de “fantomisation”, ancrée dans un récit fantastique, reprend certaines données de l’enquête de terrain, en « petite forme », et de la fiction autour de la jeunesse, en circuit fermé. Dans les autres œuvres, de License To Live à Jellyfish, le flottement des êtres fictifs, coupés du reste de la société, est un état de fait esthétique qui renvoie, de même, à l’inexistence des relations dans le Tokyo de 2000. L’effet de réel n’est autre qu’un constat banal de la solitude urbaine pour des personnages aussi peu soucieux d’être actifs que d’être passifs. Détachés de la modernité, ils ne sont ni voyants ni médiums, passablement indifférents face aux écrans de leur vie. Pas grand chose à cacher, à révéler, à signifier ou à ne pas signifier non plus. Ce fantastique du quotidien, du temps semi mort, s’inscrit à chaque fois à travers les figures de la disparition sans se cantonner, donc, à des préceptes narratifs. L’identité flottante des personnages prend diverses formes : certaines clairement filmiques (l’effacement de la surimpression) ; certaines plus chorégraphiques (la chute) ; d’autres plus graphiques (la tache) tentent toutes la possible empreinte d’un corps dans le champ. Ces marques fluctuantes d’un individu dans l’histoire interrogent la place du vide. Quel sens donner à ces disparitions rendues (in)visibles ? La disparition est-elle une mort ou une renaissance sociale ? L’évaporation des jeunes consacre peut-être l’avènement d’une nouvelle organisation. Reste à voir d’abord quelle ancienne organisation est mise à mal par ce cinéma. […]
 

Terreur fantastique du face à face
 
Le cinéma de Kurosawa orchestre, depuis ses débuts, la confrontation entre des êtres appartenant à des mondes différents. Les fantômes sont souvent convoqués, depuis les esprits de Sweet Home, jusqu’aux victimes des extra-terrestres dans Door III, jusqu’à la petite fille morte-vivante de Séance. Le traitement de la rencontre fantomatique a évolué vers un mode de moins en moins horrifique et de plus en plus réflexif, comme l’atteste la séquence de connexion avec Harué dans Kaïro. La référence aux récits littéraires traditionnels joue un rôle mineur dans l’esprit fantastique de ce film surtout mis en œuvre par les effets d’images, les sursauts sonores et les retournements du montage. À titre de comparaison, le personnage de Sadako dans Ring (1998), de Hideo Nakata, reprend plus clairement, tout en sortant aussi de l’écran de la vidéo sortilège, certaines caractéristiques des yurei, ces spectres de forme humaine dans les monogatori, contes fantastiques de l’ère Edo : apparition dans des zones de passage, notamment les ponts ; préférence pour les fantômes féminins, sans jambes, à la peau très blanche et aux longs cheveux noirs – notamment Okiku assassinée et noyée dans un puits ; errance fantomatique liée à un désir de vengeance ; mise à mort par effroi mais pas par malveillance. Dans Kaïro, les fantômes à l’étroit dans le monde des morts sont des envahisseurs qui organisent, au-delà des règlements de comptes personnels, familiaux ou amoureux, la destruction massive des soi-disant vivants pour revenir sur la terre à notre place. Ces esprits rebelles se rendent à nouveau présents, visibles, audibles, sur le terrain de la réalité par les lignes téléphoniques, par la connexion au modem, par l’image informatique. Les fantômes prennent des formes variables, entre l’humain et le spectre, la trace et la synthèse. Leur mode d’apparition, le déjà-là fantomatique, dans les profondeurs et les recoins du cadrage, donne lieu à un montage hallucinatoire qui sera relié aux limites instables des mondes intérieurs hantés.
 
kairo2
(Kairo)
 
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(Jellyfish)
 

 

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